L’interdiction de diffuser des images des forces de l’ordre : une proposition de loi qui fait débat
- Etudiants CJ
- 26 nov. 2020
- 6 min de lecture
Une proposition de loi pour la “sécurité globale” a été déposée à l’Assemblée nationale à la fin du mois d’octobre. Elle a été débattue du 17 novembre au 20 novembre 2020.
C'est une demande de longue date des syndicats de police : l'interdiction de diffuser des éléments d'identification des policiers "dans le but de leur nuire". Mais pour une partie de l'opposition, des avocats et associations, c'est "une entrave à la liberté d'informer", notamment sur les violences policières.
Cet article traitera essentiellement de l’article 24 de la proposition de loi car c’est ce dernier qui fait débat actuellement dans notre société.
→ Qu’est ce qu’une proposition de loi ?
Une proposition de loi émane du Parlement, c’est un texte préparé par un ou plusieurs parlementaires qui peut devenir une loi s'il est inscrit à l'ordre du jour des travaux parlementaires et s'il est adopté par l'Assemblée nationale et le Sénat. Le régime des propositions de loi ne sont soumises à aucun examen avant d’être déposées par un parlementaire, à l’inverse d’un projet de loi.
Soutenue par les députés issus des groupes LREM et Agir ensemble par Jean‑Michel FAUVERGUE , Alice THOUROT, Christophe CASTANER, Olivier BECHT, Yaël BRAUN ‑PIVET, Pacôme RUPIN, la proposition de loi pour la sécurité globale a été déposée à l’Assemblée nationale à la fin du mois d’octobre. Elle est débattue du 17 novembre 2020 au 20 novembre 2020. Sur la forme, elle sera examinée en procédure accélérée qui a été engagée par le Ministre de l'Intérieur, en limitant le débat démocratique à un seul passage devant les députés et les sénateurs. Cette procédure a valeur constitutionnelle prévue par l'article 45, alinéa 2, de la Constitution.
→ En quoi consiste cette proposition de loi ?
Cette proposition entend élargir le périmètre d’intervention des polices municipales, dont les attributions en matière de contrôles seront renforcées, ou encore mieux encadrer le secteur de la protection privée avec l’idée de davantage l’inscrire dans un schéma global. Il est également prévu un élargissement des finalités de recours aux drones et de caméras individuelles par les forces de l’ordre pour accroître la surveillance lors de manifestations. L’une des mesures les plus emblématiques de cette loi serait d’interdire la diffusion des images de force de l’ordre. En effet, l’article 24 de la proposition de loi prévoit de réprimer, dans certains cas, la diffusion des images de fonctionnaires de police en fonction.
Cependant, dans une lettre envoyée aux autorités françaises le 12 novembre 2020, trois rapporteurs du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU expriment leurs inquiétudes face à plusieurs mesures contenues dans le texte. En effet, la proposition de loi ainsi rédigée porterait “des atteintes importantes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, notamment au droit à la vie privée, le droit à la liberté d’association et de réunion pacifique” et place la France en contradiction avec la déclaration avec la Déclaration des Droits de l’Homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention européenne des droits de l’Homme. Sachant que l’article 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’Homme protège le droit à la liberté d’expression et de presse, l’article 24 ne peut être contraire car il est soumis à la hiérarchie des normes.
→ L’article 24 qui fait débat

Initialement, la proposition de loi ne prévoyait pas une telle interdiction, ajoutée par le Gouvernement. L’article 24 de la proposition de loi dispose qu’ “est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but qu’il soit porté atteinte à l’intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou de toute autre élément d’identification d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police”.
Les atteintes à l'intégrité physique ou psychique de la personne sont énumérées dans les articles 222-1 à 222-67 du Code pénal. Les atteintes à l’intégrité physique et psychique, nommé L’AIPP, est le préjudice lié à la réduction du potentiel physique, psychosensoriel et intellectuel. Il s’agit donc de l’invalidité que va garder une victime à vie, postérieurement à la consolidation du dommage.
→ Qu’est ce que cela signifie concrètement ?
Rien de nouveau, une telle diffusion d’images de force de l’ordre en action est déjà interdite sur la base de plusieurs textes tel que l’article 222-33-3 du Code pénal (interdiction de diffusion d’images violentes, interdiction de l’incitation à commettre des crimes et délits…). Il n’en n’est pas moins que cette nouvelle proposition de loi traduit une volonté de renforcer la lutte contre ces images, ce qui inquiète la presse, et les institutions protectrices des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
Avant toute chose, cette proposition de loi ne vient pas interdire de filmer les interventions, mais seule la diffusion sera interdite à plusieurs conditions restrictives :
le but de ces images est de porter une atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’un fonctionnaire de la police nationale ou un militaire de la gendarmerie
ces derniers doivent être filmés dans le cadre d’une opération de police
l’agent doit être identifiable (visage ou tout autre élément d’identification)
Il est donc toujours possible de filmer, notamment pour utiliser les vidéos en tant que preuves judiciaires. Seule la diffusion sera restreinte à respecter ces conditions.
→ Après la première lecture de la proposition de loi par l’Assemblée nationale :

Durant ces trois jours de débats, quelque 1300 amendements ont été déposés concernant l’article 24 de la proposition de loi. Un amendement est une modification apportée à un projet ou à une proposition de loi en discussion devant une assemblée délibérante. En effet, les parlementaires ou le gouvernement disposent du droit d’amendement.

Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a proposé, jeudi 19 novembre, d’introduire un amendement garantissant la liberté de la presse dans la proposition de loi “sécurité globale”. Bien que la liberté de la presse soit garantie par la loi de 1881, il s’agit simplement de rendre moins ambiguë l’article 24. Gérald Darmanin vient préciser cet article et propose de rajouter un troisième alinéa ainsi rédigé : « Cette disposition est sans préjudice de l’intérêt légitime du public à être informé, dans un but autre que celui visé à l’alinéa 1. »
Le premier ministre, Jean Castex, a réuni dans la soirée les présidents de groupes et les responsables de la majorité concernés par l’examen de la proposition, en présence de Gérald Darmanin. « Le premier ministre a affirmé la volonté du gouvernement de préserver l’équilibre du texte et de lever toute ambiguïté sur son intention de garantir le respect des libertés publiques, notamment la liberté de la presse et la liberté d’expression, tout en protégeant mieux celles et ceux, policiers et gendarmes, qui assurent la protection de la population », selon un communiqué.
Ce vendredi 20 novembre, l’Assemblée nationale a voté en première lecture l’article 24 incriminant la diffusion malveillante de l’image des forces de l’ordre. Le texte a recueilli 146 votes pour et 24 contre. Une légère modification du texte entend toutefois apporter des garanties en faveur du “ droit d’informer “.
Mardi 24 novembre, les députés ont adopté la proposition de loi, en première lecture avec 388 voix pour, 104 contre et 66 abstentions.
→ Dans les faits
N’oublions pas que la diffusion de certaines vidéos ont permis de mettre en lumière certaines arrestations qui mettent en cause les forces de l’ordre.
Par exemple, dans “l’affaire Théo” , fin janvier 2018, une vidéo des faits est rendue publique. Elle présente un contrôle d'identité qui dégénère, alors que les policiers n'arrivent pas à maîtriser Théo et à le menotter.
De plus, dans l’affaire Benalla, une vidéo éclate sur les réseaux sociaux mettant en lumière , Alexandre Benalla, équipé d’un casque à visière des forces de l’ordre, chargé de la sécurité du chef de l’Etat, s’en prend à un homme à terre
Mais encore l’affaire Cédric Chouviat, le 3 janvier à Paris, Cédric Chouviat, livreur de 42 ans, faisait un arrêt cardio-respiratoire lors de son interpellation par la police. Ce dernier avait filmé avec son propre téléphone avant sa mort et des vidéos de témoins incriminent les forces de l’ordre.
Le 16 novembre 2019 lors d’une des manifestations des gilets jaunes, il y a eu la diffusion d’une vidéo par un journaliste, où deux policiers sont pris au piège dans une laverie par des manifestant violents. Cette vidéo a permis l'identification de l’un des individus, qui a été jugé le 18 novembre 2019, en comparution immédiate.
Cette proposition de loi continue donc de faire débat, elle va désormais passer au Sénat en janvier pour un examen unique.
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